Champ au Sahel : sueurs et lueurs du paysan

Article : Champ au Sahel : sueurs et lueurs du paysan
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24 mai 2017

Champ au Sahel : sueurs et lueurs du paysan

Le coq n’avait pas chanté à l’heure habituelle et mon sommeil se prolongeait.

Je m’étais retrouvé dans mon champ de mil qui me faisait miroiter un rendement allant au delà de toute mon espérance. L‘hivernage avait très bien commencé, au début, les pluies avaient été abondantes et bien réparties dans l’espace et dans le temps. Le développement rapide et harmonieux des pousses laissait présager d’excellentes récoltes. Mon champ avait l’air de me remercier pour les efforts consentis à l’entretenir durant ces deux derniers mois. Sous l’effet de la brise matinale, les épis se courbaient comme pour me dire bonjour, les quelques retardataires qui n’avaient pas encore fini de mûrir laissait briller une sorte de sourire comme pour m’assurer que je n’avais aucun soucis à me faire, qu’ils allaient très vite rattraper leurs frères déjà mûrs.

J’étais tellement plongé dans la perspective d’une saison sèche et tranquille que je failli marcher sur une vipère qui guettait une souris à la cherche d’un petit déjeuner. Heureusement je portais ce gris gris anti-serpent que, de son vivant, mon père avait l’habitude de nous donner en début d’hivernage. Quand je repris mes esprits, je m’étais résolu à ne point essayer de la tuer. Lui avoir fait rater sa proie était largement suffisant comme punition, surtout que non seulement c’est moi qui m’étais introduit dans son milieu naturel, mais qu’une vipère reste une vipère.

Quelqu’un qui a la langue de vipère, c’est mon voisin Samba (que je n’avais pas vu entrer dans son champ). Il me salua à haute voix puis se mit à me lancer des piques. De par son nom de famille, nous sommes des cousins à plaisanterie. Il peut me dire tout ce que bon lui semble sans que je ne me fâche, c’est la règle et je peux faire pareil. « Tu vas récolter assez de mil pour nourrir ta famille pendant trois ans au moins, sorcier, mais gourmand comme tu es, tu vas le consommer bien avant cela, en un laps de temps très court !» me lança t-il. Ne me laissant point le temps de réagir, il poursuivit : « gare à toi cependant, car si tu te gaves à mort, je creuserai ta tombe moi même et j’hériterai aussitôt de tes deux jeunes et belles épouses ». Alors que j’étais sur le point de lui servir une réponse à la mesure de son sarcasme, je fus brusquement réveillé par un cocorico retentissant.

Intrigué, je me suis levé pour aller regarder par la fenêtre. Alors, je me rendis compte que pas une seule goutte de pluie n’était tombée du ciel. Cela faisait plus deux semaines déjà que la pluie ne tombait plus, et pourtant, tous les semis étaient entrés dans leur dernière phase de maturation et avaient terriblement besoin d’eau. Si, comme on le redoutait, l’arrêt des pluies se confirmait, les fleurs ne pourraient pas donner les fruits escomptés. Le spectre d’une période de soudure longue et difficile planait donc au dessus de nos têtes.
Le souvenir de ces moments de comète me revint aussitôt. Je me rappelais le visage que feu mon père affichait en ces moments précis, le visage d’un père qui se retrouve dans l’impossibilité d’apporter de quoi faire bouillir la marmite, un père à la solde de commerçants usuriers et véreux. Le visage d’un père dépassé, désespéré. Est-ce le même visage que je vais afficher ? Yandé le remarquera t-elle ? Mes yeux se remplirent de larmes.

Le cri de ma fille me ramena à la réalité. Yandé est venue au monde le lendemain de la première pluie, une forte pluie qui avait causé beaucoup de dégâts dans le village. On disait qu’elle était la jumelle de l’hivernage, en effet, Yandé rappelle à tout le monde ce jour où  la moitié des cases du village ont été envahies par les eaux (et la plupart détruites). Seulement de ces dégâts, personne ne s’était plaint car cette pluie abondante augurait d’un bon hivernage.

Il s’en était fallu de peu que Yandé tomba de mes bras quand je l’ai soulevé du lit pour aller la remettre à sa mère déjà occupée à préparer le petit déjeuner dans la cuisine. Un frisson m’a parcouru tout le long du corps : cet oiseau de mauvais augure venait de lancer un cri lugubre par dessus l’arbre jouxtant la maison. « Non, mon Dieu. Vous ne ferez pas la même chose cette fois-ci. La pluie devra tomber jusqu’à ce que son cycle soit complet » soupirais- je.

sueurs et lueurs au champ dans le sahel

 

 

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Commentaires

Ndaokundass azziza ndao
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Nous,avons parcouru tous ce texte super intéressant ,nous rappelant l'histoire terrible voir même pathétique donc a vaincu nos parents et grand frère.
Certes ainsi va la vie ,mais dieu merci .votre courage et votre détermination n'a jamais laissé indifférent pour changer ,aussi soutenir certains au moment difficile .vous avez défendu avec abnégation à la place des autres certenement ils se reconnaitront ils n'ont jamais voulu ménagé un effort pour consentir afin d'aider un proche .

Ndao Ndianko
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Merci d' avoir pris le temps de lire le texte et de l'apprecier. C'est celui que j'ai presente au concours mondoblog et qui m'a vallu d'etre selectionne comme bloggeur.